La situation des femmes dans le Delta central du fleuve Niger (Mali) de 2015 à nos jours

Cet article a d’abord été publié sur le site Nomade Sahel – la mobilisation politique parmi les éleveurs pastoralistes sahéliens.

Introduction

Depuis quelques années, la bande sahélo-saharienne est devenue un large champ de conflits. Et les pays de l’Afrique de l’ouest  situés sur cette bande connaissent plus ou moins une crise qu’elle soit ouverte ou latente. Le Mali ne fait pas exception à cela. D’ailleurs, il est en première position des pays à problème dans la région du Sahel. Pour rappel, en 2012, les rebelles du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) s’appuyèrent sur les groupes narco-djihadistes qui sévissent dans le nord du nord depuis près d’une quinzaine d’années pour envahir les régions du nord et même une partie du centre notamment le cercle de Douentza.

Pour la petite histoire, la guerre d’Algérie des années 1990 s’était soldée par une réconciliation nationale qui n’avait pas pris tout le monde en compte dans les rangs des combattants du GIA[1]. Certains d’entre eux étaient auteurs d’actes qualifiés d’abominables et impardonnables. Ces derniers qui ne pouvaient être pardonnés avaient pris le maquis algérien avant de se retrouver au nord du Mali. Ils y campèrent et se professionnalisent dans les différents trafics dont celui d’êtres humains. Les occidentaux devinrent des marchandises évaluées selon leurs pays respectifs. Au fil du temps, ils changèrent de nom. Ils passèrent ainsi du GIA au GSPC[2], puis AQMI[3] avec des multiples ramifications au gré des circonstances. C’est à ces mouvements dont ceux d’Anshar Al Charia qui sévissait en Libye composée essentiellement de tunisiens que les rebelles maliens vont s’allier pour leur désir d’indépendance. Tout ceci fut favorisé par le coup d’État militaire intervenu à Bamako le 22 mars 2012.

Durant la période d’occupation, leur règne avait été caractérisé depuis qu’ils avaient chassé les indépendantistes par l’instauration de la charia. Pas de vol, pas de banditisme et les malfrats étaient vite arrêtés d’après beaucoup d’enquêtés dans le nord. Pas de prostitution, pas de fornication, pas d’adultère, pas de boîte de nuit, pas de musique, pas de cigarette, pas de promenade bras dessous, bras dessus avec sa copine ou son copain, pas de transport en commun mixte, tout un tas d’interdits avaient caractérisé le règne des moudjahidines au nord. Des bras coupés en public aux lapidations jusqu’aux exécutions sommaires, on aura tout vu.

Le centre ne fera pas exception à la règle après son occupation. Après la campagne de séduction, une fois acceptés et les pieds sur terre, se sentant forts, les islamistes commencèrent petit à petit à appliquer ce qu’ils disaient combattre au départ théoriquement. C’était vraiment au départ théorique. Nous sommes contre ceci, contre cela, nous n’accepterons pas ceci et ne tolérerons pas cela, ainsi de suite. Quand ils s’étaient sentis forts, ils avaient passés à l’acte laissant les populations pantoises. Et ce sont les femmes qui vont faire les frais de ces différentes interdictions. Dans les différentes communes du cercle de Tenenkou, il y avait toute une série d’interdits auxquels les populations étaient soumises. Et le plus souvent, c’étaient des pratiques auxquelles les femmes s’étaient vraiment habituées, des choses qui vont avec leur quotidien, leur mode de vie, leur manière de faire, leur manière d’être.


Femmes peules vendant les sécos à la foire de Tenenkou

La baignade au fleuve

Il est reconnu dans cette zone que les bordures du fleuve est un espace privé pour les femmes. C’est ici, au bord du fleuve Niger, de son défluent (le Diaka), en aller comme au retour qu’elles se racontent leurs histoires, leur vécu au quotidien, leurs secrets, leurs joies et leurs peines. C’est l’espace où les langues se délient voire elles se libèrent pour exposer les problèmes des unes et des autres dans le but d’y trouver des solutions à défaut des propositions des solutions. C’est ici également qu’elles se baignent, qu’elles respirent la nature, bref c’est leur plage, une plage que les femmes du Delta ne partagent avec personne d’autre jusqu’à l’arrivée des combattants d’Ançardine de Hamadoun Koufa.

Ces derniers avaient dans leurs bagages toute une série d’interdictions dont celle de se baigner au fleuve pour les femmes. Ces dernières qui ne sont pas habituées à se baigner à la maison, n’ayant pas de puits à domicile sont ainsi forcées de transporter de l’eau du fleuve à la maison pour se laver dans des latrines qui ne sont vraiment adaptées. Au vu de la distance qui sépare certains villages du fleuve surtout en saison de décrue, c’est vraiment une corvée de plus pour des femmes qui n’avaient d’ailleurs aucun repos du matin à la nuit tombée à cause des activités domestiques.

Le sommeil en plein air

Dans le Delta, les familles sont logées dans de vastes concessions, de très grandes cours. Comme il fait chaud à l’intérieur pendant une bonne partie de l’année, les membres de la famille se couchent en plein air se partageant les différents coins et recoins de la concession. Les djihadistes interdisent cette pratique au motif qu’une fois endormie, la femme peut se retrouver nue ou en mauvaise position vu que son pagne ou sa couverture peuvent ne pas rester en elle si toutefois elle ne tient pas sur place pendant son sommeil.

Pour les enquêtées, cette situation a créé un autre problème surtout pour leur intimité. Nous sommes dans une zone où les personnes vivent dans des maisons à banco, très petites, souvent une chambre, voire une chambre-salon et parfois même dans des cases. Ainsi, une fois la nuit tombée parents comme enfants profitent de leur cour pour jouir du vent qui souffle pour tout le monde et garder leur intimité pour leurs parents. Car une fois que la fraîcheur retombée, les parents retournent le plus souvent dans la chambre pour leur intimité. Des chambres très chaudes car pas d’électricité, aucun système de ventilation, ni de climatisation, ni un autre quelconque moyen d’humidifier la température, on les demande de se cramponner tous à l’intérieur.

Le plus souvent dans ces maisons ou cases uniques pour la famille, un des conjoints se couche dehors avec les enfants. Et à une certaine heure quand le silence aura gagné l’endroit grâce à la clémence de la nature (sommeil et beau temps), l’homme vient taper en douce la femme en signe afin de lui rejoindre dans la maison. Elle était déjà préparée parce qu’il avait le plus souvent notifié qu’il aura besoin d’elle cette nuit avec ou sans accord. Une fois réveillée et elle reprit ses esprits, elle prend le soin de regarder de gauche et à droite si aucun des enfants n’est réveillée par la sortie du mari bien que ce dernier aussi ait pris toutes les précautions. Une fois qu’elle est sûre de tout cela, elle se lève, se prépare et se met à la disposition de son mari à l’intérieur de la chambre. Beaucoup reconnaissent que cette situation décidée unilatéralement par les djihadistes a joué sur la vie sexuelle de leurs couples. Car ils ne peuvent jouir à volonté de leur conjoint ou conjointe à cause du partage de la chambre avec des enfants dont certains sont même adolescentes.

L’habillement

Parmi les interdits, il y avait celui de l’accoutrement des femmes. Celles-ci étaient interdites de s’habiller d’une certaine manière car leur corps doit être entièrement couvert. Le port du voile, du nikab, du hijab sont obligatoires pour toutes les femmes et même les petites filles.

  • Des femmes de cultivateurs du village habituées à travailler dur dans les champs, dans les jardins maraichers, à arroser, à moissonner, à transporter des céréales et du bois de chauffe.
  • Des femmes de pêcheurs habituées à travailler dur pour extraire les poissons de filets, les écailler, les griller et les transporter dans des pinasses afin de les écouler dans les foires.
  • Des femmes d’éleveurs habituées à transporter les bouses de vaches, à traire les vaches (exceptionnellement) mais les chèvres quotidiennement, à transformer le lait et le vendre dans les villages.

Toutes ces activités n’étaient pratiques qu’avec des haillons sur le corps car elles useraient les rares jolis habits dont disposeraient ces pauvres femmes. Cependant « les moudjahidines sans nous donner les moyens de nous trouver des habits décents dont ils parlent nous exigent l’abandon de ceci et le port de cela. L’accoutrement qu’il nous exige n’est pas pratique pour les pauvres que nous sommes. Amener le hijab au jardin, mettre des sacs de bouse de vaches au-dessus du hijab, des écailles de poissons et les autres saletés qui y vont avec nous force à les laver proprement tous les deux jours pendant que le prix du savon n’est pas accessible à toutes, tous les deux jours. On ne peut pas en acheter beaucoup d’habits et on ne peut pas les laver tous les deux jours,voilà le dilemme dans lequel nous sommes dans le Bourgou » disait une femme leader lors d’un focus. « L’islam exige la propreté pour prier, et c’est vrai. Nous ne rendons propres chaque fois que nous prions. Mais, on ne sait plus quoi fort avec les djihadistes car rien de ce que nous faisons n’est suffisant pour eux. Mais quand quelqu’un est plus fort que toi, il te fait faire ce qu’il veut et tu n’as pas le choix. Nous les avions applaudi parce que nous ne payerons pas d’impôts, l’agent des eaux et forêts (traité de sorcier) ne viendra plus nous perturber, le juge corrompu est mis dehors, le méchant gendarme est chassé. Mais aujourd’hui, nous prions pour le retour de l’Etat. Car, on ne peut pas continuer comme ça surtout nous les femmes » avait ajouté une participante.

Comme tout cela ne suffisait pas, ils interdirent également les différentes fêtes occasionnant de grandes retrouvailles pour les femmes.


Femmes peules nomades voilées au CSRéf de Tenenkou

Les cérémonies festives

Dans la batterie d’interdits figuraient également les cérémonies de mariage, de baptême, de circoncision, de célébration des fêtes culturelles (yaaral, degal, longal, courses de pirogues, etc.), religieuses avec flûte et tam-tam (fêtes de ramadan et de tabaski). Ces différentes fêtes étaient des occasions de récréation pour les femmes qui se faisaient belles pour leur époux, fiancé et autres. Elles se rivalisaient de créativité pour rendre belles leurs filles, leurs maisons avec des parures traditionnelles pour les unes et l’alliance (tradition et moderne) pour d’autres. Des chants et des pas de danses au rythme de la flûte et du tam-tam étaient soigneusement agencés.

Les moudjahidines ne sont pas contentés d’interdire mais ils avaient bastonné plus d’une fois les femmes pour n’avoir pas respecté leurs consignes.

La bastonnade des femmes du Delta par les moudjahidines

Les femmes de Mamba

Le lundi 14 Août 2017, les femmes de Mamba qui partaient à la foire de Diafarabé furent arrêtées en pleine brousse par des éléments armés appartenant aux éléments de Hamadoun Koufa. Toutes celles qui n’avaient pas la tête couverte reçurent de sévères coups de fouets avant de rebrousser chemin ou de continuer son chemin sur ordre des bourreaux du jour. Une d’entre elle qui était en gestation vit son accouchement. Elle trépassa les heures qui suivirent l’accouchement sans aucune autre forme de procès. Le 2 septembre 2017, les mêmes éléments, certains d’entre eux du moins revinrent aux abords du village de Mamba et chassèrent les femmes qui étaient entrain de faire entre autre la vaisselle et la lessive en menaçant de bastonner celles qui ne portaient pas le voile. Les femmes résistèrent et les hommes sortirent pour défendre leurs femmes. Réduits en minorité, ils s’en fuirent sur leurs deux motos. La semaine qui suivit, en représailles, ils enlevèrent 36 hommes du village de Mamba en partance encore pour à la foire de Diafarabé pour avoir osé braver leurs éléments. Ils furent gardés pendant une dizaine de jours et libérés avec beaucoup de menaces.

Les femmes de Nouh Bozo

Un samedi d’Août 2017, les moudjahidines entrèrent dans la foire de Nouh-Bozo situé à 14 km de Diafarabé et se mirent à taper les femmes et les filles parce qu’elles ne portent le voile. Un marabout peul, témoin des faits nous avait raconté ainsi ce qu’il avait vu ce jour « les Ançarou ne s’étaient pas contentés de taper comme l’exige la religion mais ils tapaient avec beaucoup de haine à telle enseigne qu’à chaque coup, celle qui reçoit tombe par terre « mbè barmini tialdi, mbè ngoti » «ils ont blessé les corps de certaines et les têtes d’autres tout simplement parce qu’elles n’ont pas porté le voile.»

Les femmes de la commune de Toguéré-Coumbé 

Les mêmes actions susmentionnées s’étaient produites dans les foires de Doundewal, de Doungoura et de Toguéré-Coumbé. Des témoins font état de la brutalité des coups de fouets donnés aux femmes pour n’avoir pas porté le voile islamique. Un témoin interrogé dans un village de la commune de Toguéré-Coumbé nous disait que certaines femmes étaient mortes de honte car après avoir reçu les coups de fouets d’une manière surprise, elles avaient uriné sur place sans le savoir. Le cas le plus grave disait-il s’était produit à Doungoura où une des victimes avait déféqué sur le coup tant le coup reçu sur la tête était d’une rare brutalité.

En définitive, nous dirons que la présence djihadiste dans le centre du Mali est un véritable problème pour la liberté des femmes. Ces dernières ont beaucoup souffert pour être dans le collimateur des moudjahidines à travers les différents interdits.

[1] Groupe islamique armé

[2] Groupe pour le salut, la prédication et le combat

[3] Al-Qaeda au Maghreb islamique

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