A new we ? Retours sur la table ronde sur les migrants, réfugiés, travailleurs

De Emma Cailleau

La table ronde constitue l’un des temps forts de Voice 4 thought, l’occasion de débattre et de croiser les regards sur la thématique du festival cette année : les politiques d’immigration peuvent-elles contribuer à la créativité et au progrès des personnes migrantes, des personnes « in motion » ?

En préambule, un court métrage documentaire « Little Dark Inside » retrace, avec émotion et sensibilité, le parcours d’un artiste syrien jusqu’à son arrivée aux Pays-Bas, de la violence du départ à la création dans le pays d’accueil. Un témoignage poignant des questions au cœur du débat.

Puis Mirjam de Bruijn, directrice du Festival ouvre la séance en resituant le débat dans l’ensemble de la programmation de Voice 4 thought. Elle invite à quelques instants de silence en soutien au peuple congolais, maltraité par le pouvoir ces derniers jours à Kinshasa notamment. Puis elle lance un appel aux politiques, à être plus à l’écoute des populations avant d’inviter l’assistance à écouter les voix des invités, des personnes « in motion ».

Une intervention de Irial Glynn, historien des migrations à l’Université de Leiden, propose un cadre à la discussion : à partir de données et de perspectives historiques, il déconstruit certaines images sur les migrations. Migrer ne signifie pas forcément traverser des frontières. En effet, beaucoup de déplacements se font au sein d’un même pays et peuvent aussi nécessiter des réadaptations : autre langue, autre environnement culturel. L’hostilité envers de nouveaux arrivants s’inscrit dans une histoire longue. Actuellement, si certains discours donnent l’impression d’une immigration forte vers l’Europe, il ne s’agit pas des flux migratoires les plus importants. De perpétuels migrants sont les hommes : les peuples ont toujours été en mouvement. Ainsi Irial Glynn insiste sur la nécessité de resituer les migrations dans une perspective plus longue et dans un cadre mondial pour travailler l’Histoire et l’éducation. Envisager ainsi les migrations, comme des mouvements perpétuels, est indispensable pour « créer un nouveau nous ». Voire un nous toujours nouveau ?

À travers leurs expériences personnelles, artistiques et professionnelles, Marina Diboma, directrice des affaires étrangères et de la coopération internationale au Dutch-African Business Council (NBAC), invite chaque intervenant à évoquer son parcours personnel, en soulignant ce que lui a apporté sa propre expérience migratoire.

Dans un premier temps, elle oriente les prises de parole sur la question de la participation des migrants à la société d’accueil, et sur les actions ou activités menées par les invités. Rana Noman, écrivaine, activiste et réfugiée, aborde la question de la transmission et des échanges autour des expériences de migrations afin de les comprendre et de se connaître. De son côté, Valsero, artiste, acteur et activiste, bouscule la question posée en rappelant que plus que la question de savoir ce que des migrants peuvent apporter à la société d’accueil, il s’agit de comprendre les causes du départ. Dans les perceptions communes, les migrations du Sud vers le Nord apportent des problèmes, alors que des migrations du Nord vers le Sud apportent des solutions. Certains sont des immigrés, d’autres des expatriés. La façon dont les personnes qui se déplacent sont perçues ne dépend pas que des politiques mais aussi de la société. Un travail est à faire pour faire évoluer ces perceptions, lourdes de préjugés. Questionner la façon de désigner est un point de départ. Valsero pointe du doigt un vocabulaire qui créé des clivages. Car, quelque soit la participation des migrants à la société, le regard porté sur eux est réduit. Nous sommes tous propriétaires de la terre, en cela, il appartient à chacun d’interpeller les politiques. Isaac Bacirongo, écrivain, activiste et entrepreneur, abonde dans le même sens en insistant sur la dissymétrie du regard porté sur les migrants en fonction du lieu d’où ils viennent. Pour changer ces regards négatifs, l’éducation a un rôle important à jouer. Dans cette dynamique, son livre Still a pygmy, aborde l’histoire de sa famille, de ses origines, des difficultés auxquelles a fait face son peuple afin de lutter contre les préjugés et de mieux se connaître.

Kone Abdoul Aziz, artiste et organisateur d’événements, souligne que son pays, le Mali est fait de migrations , sa population vient de partout. En tant qu’organisateur d’un festival de slam à Bamako il veille à inviter des artistes originaires de différents milieux du Mali et de différents pays et apprécie la richesse des rencontres d’horizons divers. Il souligne aussi l’importance, dans les actions éducatives qu’il mène, de situer le Mali dans le monde, et de sensibiliser les enfants à la question de la place dans le monde. Il rappelle que la migration étant un droit, il n’est pas possible d’établir de politique de migration choisie.

Marina Diboma ouvre la seconde partie de la table ronde en proposant à ses invités de s’exprimer sur le rôle que peut avoir un gouvernement dans le développement des personnes migrantes.

Dorine van Norren, conseillère sur les relations internationales au ministère des Affaires étrangères des Pays Bas, revient sur l’importance de l’éducation dans cette problématique. Elle insiste sur la nécessité d’éduquer à penser un monde global, une citoyenneté  mondiale. Pour cela, le travail sur la réduction des inégalités occupe une place importante puisque les inégalités sont une cause des déplacements. De même, Samira Rafaela, entrepreneure sociale, revient sur l’importance de l’éducation. Dans ses fonctions, elle tente de créer des ponts en apprenant à découvrir d’autres langues et d’autres cultures. Au cœur de ses activités, sa préoccupation porte sur comment travailler avec tous de manière équitable en prenant en compte tous les talents. L’idée d’un monde global implique de créer des rencontres, des échanges, des dialogues. Pour Amee  (Aminata Bamba), slammeuse, les clefs du changement ne sont pas dans les mains des politiques, mais dans nos mains. Elle insiste sur la nécessité d’écouter la jeunesse et de créer des règles qui lui permettent d’entreprendre, d’innover, d’évoluer. Elle ajoute ensuite que la population de Côte d’Ivoire est le fruit des migrations. Lors des crises politiques, les étrangers ont été désignés comme cause du problème, alors que cette notion d’étranger ne fonctionne pas. Chacun doit veiller à regarder l’autre comme son frère. Il faut apprendre à chacun à avoir ce réflexe d’humanité. Enfin Chudi V Ukpabi souligne que les politiques se construisent en regard des mentalités et des perceptions d’une société. Pour les faire évoluer, il faut aussi agir sur la société. De nouveau, les enjeux de l’éducation face à ces questions sont fondamentaux. Avant de clore ces interventions, Valsero revient sur le besoin humain de bouger « parce que l’homme a des pieds » et invite à habiter le monde. Il rappelle la nécessité de questionner les causes du départ. Dans un pays comme le Cameroun par exemple, le président est au pouvoir depuis 33 ans …ce maintien au pouvoir est la responsabilité de tous. Il insiste sur le fait que chacun est une part du problème dans ces questions. D’un côté, l’Europe accueille des dictateurs avec un tapis rouge, d’un autre les migrants sont accueillis avec des barbelés…

Quelques échanges avec la salle se font avant la synthèse de Iryal Glynn.

Au cœur de la construction de ce nouveau nous, en perpétuel mouvement, se trouvent l’éducation et la connaissance de l’autre et des autres. Les créations artistiques des invités du festival constituent de belles propositions à ce « mouvement ».

Pour la gallerie et un report en anglais de la discussion, suivez ce lien

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